Le changement climatique bouleverse les modèles d’affaires : adaptation ou disparition ?

Face à l’urgence climatique, les entreprises sont contraintes de repenser en profondeur leurs stratégies. Entre risques et opportunités, le réchauffement planétaire redessine le paysage économique mondial. Décryptage des transformations en cours et des défis à relever pour les acteurs économiques.

Une prise de conscience tardive mais nécessaire

Longtemps ignorée par le monde des affaires, la question climatique s’est imposée ces dernières années comme un enjeu majeur pour les entreprises. Selon une étude du World Economic Forum, 67% des dirigeants considèrent désormais le changement climatique comme le principal risque à long terme pour leurs activités. « Nous sommes entrés dans l’ère de l’adaptation climatique », affirme Jean Tirole, prix Nobel d’économie. « Les entreprises qui ne s’adapteront pas sont vouées à disparaître. »

Cette prise de conscience, bien que tardive, était inévitable face à la multiplication des événements climatiques extrêmes et à la pression croissante des consommateurs, des investisseurs et des régulateurs. Les catastrophes naturelles ont coûté 280 milliards de dollars à l’économie mondiale en 2021, selon le réassureur Munich Re. Un chiffre qui pourrait atteindre 23 000 milliards de dollars par an d’ici 2050 si rien n’est fait, d’après la Banque mondiale.

Des secteurs entiers contraints de se réinventer

Certains secteurs sont en première ligne face au défi climatique. L’industrie automobile, par exemple, opère une mutation sans précédent vers l’électrique. Volkswagen a annoncé un investissement de 89 milliards d’euros d’ici 2026 pour électrifier sa gamme. « C’est un changement de paradigme complet pour notre industrie », reconnaît Herbert Diess, PDG du groupe allemand.

L’énergie est un autre secteur en pleine révolution. Les géants pétroliers comme Total ou Shell diversifient massivement leurs activités dans les énergies renouvelables. « Nous visons la neutralité carbone d’ici 2050 », déclare Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies. « Cela implique de repenser entièrement notre modèle d’affaires. »

L’agriculture n’est pas en reste, avec l’essor de pratiques plus durables comme l’agroécologie ou l’agriculture de précision. « Nous devons produire plus avec moins de ressources et d’impacts », résume Erik Fyrwald, PDG de Syngenta. « C’est un défi colossal mais aussi une opportunité d’innovation. »

De nouveaux modèles d’affaires émergent

Face à ces bouleversements, de nouveaux modèles économiques voient le jour. L’économie circulaire gagne du terrain, à l’image de Renault qui a créé une filiale dédiée au recyclage des véhicules. L’économie de la fonctionnalité, qui privilégie l’usage sur la propriété, se développe dans de nombreux secteurs.

Les entreprises intègrent de plus en plus le coût du carbone dans leurs décisions stratégiques. « Nous appliquons un prix interne du carbone de 50 euros la tonne », explique Antoine Frérot, PDG de Veolia. « Cela nous pousse à privilégier les investissements bas carbone. »

L’innovation joue un rôle clé dans cette transition. Les technologies vertes attirent des investissements massifs : 755 milliards de dollars en 2021 selon Bloomberg NEF. Des start-ups comme Climeworks dans la capture du CO2 ou Beyond Meat dans les protéines alternatives bousculent les acteurs traditionnels.

Les défis de la transition

Cette transformation des modèles d’affaires ne va pas sans difficultés. Le coût de la transition est colossal : 100 000 milliards de dollars d’ici 2050 selon Morgan Stanley. Les entreprises doivent jongler entre investissements de long terme et pressions court-termistes des marchés.

La question des compétences est cruciale. « Nous avons besoin de nouveaux profils, d’ingénieurs spécialisés dans les technologies vertes », souligne Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie. « C’est un enjeu majeur de formation et de recrutement. »

La transformation des chaînes d’approvisionnement est un autre défi de taille. « Nous devons repenser toute notre logistique pour réduire notre empreinte carbone », explique Ramon Laguarta, PDG de PepsiCo. « Cela implique de travailler différemment avec nos fournisseurs et nos clients. »

Vers une nouvelle gouvernance d’entreprise

Le changement climatique redéfinit également la gouvernance des entreprises. La prise en compte des enjeux environnementaux devient un critère clé pour les investisseurs. « Nous intégrons systématiquement les risques climatiques dans nos décisions d’investissement », affirme Larry Fink, PDG de BlackRock.

De nouveaux indicateurs de performance émergent, au-delà des seuls critères financiers. Le reporting extra-financier se généralise, avec des normes comme la TCFD (Task Force on Climate-related Financial Disclosures). « La transparence sur notre impact environnemental est devenue incontournable », reconnaît Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone.

La rémunération des dirigeants est de plus en plus indexée sur des objectifs climatiques. Schneider Electric a ainsi lié 20% de la rémunération variable de ses cadres à des critères de développement durable. Une tendance qui devrait se généraliser dans les années à venir.

Un enjeu de compétitivité à long terme

Si la transition climatique représente un défi majeur pour les entreprises, elle est aussi une opportunité de se différencier et de gagner en compétitivité. « Les entreprises qui sauront s’adapter rapidement auront un avantage concurrentiel décisif », estime Paul Polman, ancien PDG d’Unilever.

L’adaptation au changement climatique devient un facteur clé de résilience face aux chocs futurs. « Les entreprises doivent intégrer les scénarios climatiques dans leur planification stratégique », conseille Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre. « C’est une question de survie à long terme. »

Au-delà de la contrainte, le climat peut être un moteur d’innovation et de croissance. Le marché des solutions bas carbone devrait atteindre 26 000 milliards de dollars d’ici 2030 selon la Commission mondiale sur l’économie et le climat. Une opportunité que les entreprises ne peuvent ignorer.

Face à l’urgence climatique, la transformation des modèles d’affaires n’est plus une option mais une nécessité. Les entreprises qui sauront anticiper et s’adapter seront les mieux placées pour prospérer dans un monde en mutation. Un défi de taille, mais aussi une formidable opportunité de réinventer l’économie sur des bases plus durables.